Consolider, dit le Larousse, « c’est rendre quelque chose plus durable, plus résistant, l’affermir ». C’est à l’aune de cette définition qu’il faut analyser toute la bataille juridique, mais surtout médiatique, des opérateurs pour une consolidation dans le secteur des télécoms. En Afrique, cette question est négligée ou insuffisamment traitée, du moins dans les médias. Pour autant, dans les années à venir, elle sera au centre de toutes les attentions.
Certains spécialistes prévoient d’ailleurs que le phénomène du « ‘’co’’ [pour la colocation, coopération et consolidation] nourrira la plupart des discussions et négociations dans les télécoms en Afrique subsaharienne ». Avoir près de 7 opérateurs pour 10.7 millions d’habitants (Somalie) rend le marché difficilement rentable. Ce d’autant plus que, dans le même temps, dans les pays les plus avancés en la matière, on ne compte que 3 (la Chine ou le Japon, respectivement 1.371 milliards et 126 millions d’habitants) ou 4 (USA avec 321 millions d’habitants) grands opérateurs. En France d’ailleurs, la question de la consolidation reste, malgré la fin officielle des discussions pour ramener le secteur à 3 grands opérateurs (pour 66.8 millions d’habitants), au « centre de tous les regards ». Selon toute vraisemblance, « une nouvelle saison » se profile à l’horizon.
Certes, dans la plupart des cas, une concurrence (saine) entre plusieurs opérateurs est un levier favorisant la baisse des prix, puisque, ainsi que le soutient le philosophe, Montesquieu, elle « met un prix juste aux marchandises [et] établit les vrais rapports entre elles ». Cependant, tout comme en matière culinaire – où trop de viande est susceptible de gâter la sauce –, dans le domaine des télécoms, une multitude d’opérateurs peut, à terme, avoir l’effet pervers d’annihiler la croissance. Cela est, pour la simple raison principale qu’une concurrence effrénée est de nature à sacrifier la qualité des réseaux et service offerts aux utilisateurs sur l’autel des guerres de promotions. Alors que, et à rebours, une consolidation, notamment horizontale du secteur (autour de plus ou moins 3 opérateurs), en offrant la possibilité de faire de substantielles économies de coût, permettra, en retour, aux opérateurs, d’avoir plus de marge de manœuvre quant à l’investissement dans la connectivité de l’Afrique.
En effet, et c’est une lapalissade, la « mise à jour » de la qualité de l’internet, autrement dit, actuellement, l’investissement dans la 4G, la 5G ou même la fibre optique, nécessite d’énormes investissements qui, si le marché est fragmenté, seraient sinon difficilement finançables, du moins certainement encore en retard (comme c’est le cas actuellement) par rapport aux autres pays. Il en est ainsi d’autant plus que, cela a déjà été évoqué, le secteur des télécoms est, par excellence, celui des mutations technologiques permanentes.
S’il était permis de faire une digression dans le propos, l’on dirait sans retenue que les observateurs, du moins les plus avertis, n’ont pas été étonnés du retrait de licence à certains opérateurs (Comium, Café Mobile, GreenN, Warid) en Côte d’Ivoire. Car, avec des dettes aussi abyssales (plus de 80 milliards de Fcfa en grande partie liées aux frais d’interconnexion), il est particulièrement difficile sinon même impossible, et de suivre l’innovation technologique, et d’être compétitif sur un long terme. Du reste, le Régulateur a explicitement inscrit ce retrait dans un « processus […] de restructuration et de consolidation du secteur de la téléphonie mobile en Côte d’Ivoire ». Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le Group Télecom Azur (Gabon, République Centrafricaine et Congo) et Expresso (Ghana) seraient eux aussi au bord de la faillite.
Toutefois, ce n’est pas uniquement d’un point de vue économique, c’est-à-dire comme un tremplin à soutenir l’investissement, que la consolidation s’envisage comme une nécessité. Elle a ceci de plus louable qu’elle peut avoir pour corollaire de faciliter la convergence des réseaux de télécoms, des services multimédias, des terminaux mobiles ainsi que les offres d’abonnement (triple Play ou quadruple Play par exemple).
Ainsi, la convergence numérique (facilitée par la consolidation) permettra au consommateur africain, en utilisant son téléphone, de communiquer, de suivre ses séries ou ses matchs sportifs, etc. grâce à un seul opérateur. Il peut aussi s’agir pour les opérateurs de proposer des offres «bundle » : le triple Play par exemple regroupant le fixe, le mobile ou quadruple Play si l’on y ajoute la télévision grâce à un seul et même opérateur. Proposées déjà depuis quelques années par certains opérateurs, notamment au Kenya, au Nigéria, en Afrique du Sud, au Cameroun ou encore au Liberia, ces offres groupées permettent, en règle générale, de faire de réelles économies en ayant 3 ou 4 services à des tarifs attractifs, et offrent surtout une simplicité (donc une transparence), dans le suivi et la maitrise des consommations en tant qu’elles permettent de regrouper sur une seule facture les diverses prestations et services souscrits.
C’est ce qui justifie en grande partie la course aux rachats ou aux fusions, amorcée par les grands groupes d’opérateurs ; l’objectif visé étant de pénétrer de nouveaux marchés ou de renforcer davantage une présence dans un pays ou une zone donnée. Ainsi, et pour ne parler que des acquisitions récentes, l’on indiquera la stratégie de MTN qui, en 2014, a pris le contrôle d’Afrihost (un fournisseur d’accès internet) et, en 2015, Visafone au Nigeria ; celle d’Orange avec les acquisitions de certaines filiales d’Airtel (Burkina et Sierra Leone), de Cellcom au Liberia et de Tigo en RDC ; de Maroc Telecom qui, en 2015, a fait l’acquisition des 6 filiales africaines d’Etisalat (Moov). L’on comprend ainsi, aussi, pourquoi, au lendemain du rejet par la Haute Cour de Pretoria du rachat de Neotel (un fournisseur de connectivité) par Vodacom, ce dernier songe déjà à acquérir un autre fournisseur de connectivité, Broadband Infraco. Telkom affiche aussi son impatience quant à la prise de contrôle de Business Connexion, Airtel et Tigo se concertent pour une fusion au Ghana, quand Sahel Telecom et Sonitel l’ont déjà faite pour donner Niger Telecom. Les exemples peuvent être multipliés à l’infini.
Cela étant, il convient néanmoins de préciser, et même d’admettre, que ce phénomène de consolidation est une vexata quaestio, un problème sensible, et que, de ce fait, s’il est géré avec indélicatesse, risque d’entrainer le marché dans un monopole ou un duopole préjudiciable pour le consommateur, du moins en règle générale. C’est ce qui explique les réticences des régulateurs dans certains pays (France, Afrique du Sud). En tout état de cause, toute action en la matière, semble-t-il, doit s’inscrire dans une politique in globo alliant cadre règlementaire très clair (en tenant compte de la spécificité de chaque pays ou région, le cas échéant), intérêts des consommateurs, des travailleurs et des opérateurs, et ceci, dans une perspective à long terme.
Il ne s’agit pas ici, ou pas seulement, de proposer des politiques « court-termistes » dans le dessein exprès d’avoir des tarifs les plus bas qui, à la longue, s’avèreront contreproductives pour le continent. Car, il faut en convenir, le point d’orgue n’est pas de choisir entre la qualité et le prix, mais de trouver un équilibre entre la qualité et le prix en sorte que l’une soit proportionnelle à l’autre et inversement. A défaut, l’histoire de la connectivité en Afrique a tous les risques de s’écrire au conditionnel.
Source: info-Afrique.