Chiffre d’affaires en baisse, travail ralenti : les petits entrepreneurs en République démocratique du Congo pâtissent de la coupure des SMS, de l’internet mobile et des réseaux sociaux instaurée il y a deux semaines durant les troubles qui ont secoué le pays.

D’ordinaire, le petit cyber-café de Danny, à Ngaliema, dans le nord de Kinshasa, reçoit entre 20 et 30 clients par jour. Désormais il en reçoit à peine dix car sa connexion est soit coupée, soit très lente.

“Depuis que cette histoire a commencé, on n’arrive pas à gagner, confie l’informaticien. Avant, j’avais 30.000 francs (congolais, soit environ 29 euros) par jour. Là, j’ai au moins 10.000 francs (9,5 euros) mais je paie (toujours) 180 dollars par mois pour la connexion internet.”

Du 19 au 22 janvier, la RDC a été le théâtre de troubles meurtriers (13 à 42 morts selon les sources) déclenchés par l’examen d’un projet de loi électorale qui aurait pu permettre au président Joseph Kabila de rester en poste au-delà du terme de son mandat, fin 2016, alors que la Constitution lui interdit de se représenter.

Le 20 janvier, pour affaiblir la contestation, les autorités ont ordonné la coupure des SMS et d’internet. L’internet fixe a été rétabli deux jours plus tard, mais pas l’internet mobile, qui représente la quasi-totalité des connexions des particuliers et des PME. Les services SMS, moyen le moins cher pour communiquer, et les réseaux sociaux étaient de plus toujours inaccessibles mercredi 4 février.

Le 25 janvier, la loi électorale, débarrassée de la disposition la plus contestée, a été adoptée, et le calme est revenu bien que le nouveau texte n’apaise en rien les craintes des détracteurs de M. Kabila.

Mercredi, le chef de la Mission de l’ONU en RDC (Monusco), Martin Kobler a appelé les autorités à “restituer maintenant internet”.

A Kinshasa, les services de banque mobile des opérateurs continuent de fonctionner. Très utilisés, ils permettent d’envoyer des fonds avec son téléphone portable.

A Bukavu, en revanche, à l’autre bout du pays, le système fonctionne de manière plus aléatoire.

Yves Mukole, vendeur de cartes prépayées télécoms dans le centre de cette ville de l’est frontalier du Rwanda, se plaint de vendre “difficilement” pour 30 dollars de recharges par jour, alors que son chiffre d’affaires tournait habituellement “à 40-45 dollars”. Explication, selon lui: le fait que les gens sont privés de SMS et que les jeunes n’ont plus accès à Facebook.

“C’est trop dur, cette décision”, soupire Gisèle Ndembele, coordonnatrice d’une agence de voyage pour étudiants à Kinshasa. “Le travail devient lourd. On a remis le pays 20 ou 25 ans en arrière!” D’habitude, la société correspond avec l’étranger “avec Whatsapp, Viber, Facebook, les SMS…” “Là, il faut faire la queue au cyber, on perd 1h30 et on dépense chaque jour environ 10 dollars.”

“Débloquer Facebook”

Les opérateurs sont impuissants face aux clients qui demandent des comptes et n’ont pas encore communiqué le manque à gagner que crée pour eux la situation.

Orange a fait diffuser un message pour s’excuser auprès de ses clients de la gêne occasionnée, en précisant que cela était “indépendant de (la) volonté du groupe”. L’opérateur sud-africain Vodacom a produit un message du même genre.

Pour contourner la censure, chacun a sa méthode.

Nina Mandiangu, qui dirige une entreprise de traiteur, a changé de type d’abonnement et d’opérateur. Il lui en coûte désormais non plus 30 dollars par mois mais 170. “D’habitude, on envoie le menu à plus de 100 clients par jour, et au moins 50 passent commande. Là, on ne peut envoyer le menu ni par SMS ni par mail: on a une baisse de 80% de notre chiffre d’affaires”, dit-elle.

Sur la Toile, certains opposants parviennent à accéder aux réseaux sociaux. Comme Vital Kamerhe, chef de l’Union pour la nation congolaise (UNC), ancien proche de M. Kabila et aujourd’hui un de ses opposants les plus virulents.

“Nous nous sommes mis comme dans les grandes ambassades, avec un accès internet via le satellite au bureau”, confie-t-il. Un luxe qui revient à 700 dollars par mois, contre 200 pour leur abonnement classique.

Dans l’Est du pays, comme à Goma, on se connecte grâce au signal du Rwanda et de l’Ouganda voisins.

A Kinshasa, Gaël, étudiant, explique de son côté qu’on peut télécharger “des applications pour débloquer Facebook” et ainsi accéder à une version simplifiée du réseau social.

Picture: @Hicham Daoudi. Publié par Congosynthese.